• Chapitre 8

    Ce qui était bien, c’est que la princesse rousse n’avait pas perdu ses réflexes. Elle avait réussi à attraper un rouleau de peinture par la laine juste avant qu’il ne tombe sur elle.

    “Hé, pas mal !” dit la même voix de femme.

    Une peintre est descendue de l’échelle regardant la princesse.

    “Par contre, vos gants sont bons pour la poubelle… on ne peut pas nettoyer des textiles imbibés de glycéro…”

    “Il y avait des femmes dans le bâtiment dans les années 80 ?”

    “Vous étiez née en 1987 ?” répondit le peintre avec un sourire.

    Le choc a traversé Daisy, faisant rire l’ouvrière.

    “Nous nous rencontrons enfin, princesse ! Je m’appelle Telloris, c’est moi qui ai créé la boussole qui vous a emmené ici.”

    “Alors vous pouvez me ramener chez moi ?”

    “Si vous arrangez la situation avec Eclair, pas de problème.”

    La princesse a baissé les yeux. Elle ne savait pas si elle serait capable de discuter avec son homologue waffelime pour le moment.

    “Qui a-t-il ?”

    “Si vous pouvez voyager dans le temps, est-ce que vous pouvez empêcher ce monstre d’approcher ma tante ?”

    “Allons Daisy… c’est un événement passé, je ne peux pas y remédier sans conséquences.”

    Le sentiment d’impuissance de Daisy face à ce qu’elle avait vu s’est démultiplié. Evidemment qu’elle n’aurait rien pu faire.

    Puis le peintre a pris sa main.

    "Viens,” dit Telloris, soudainement plus familière. “je vais te montrer quelque chose.”

    Avant que la princesse venue du futur ne puisse réagir, le binôme s’est promené dans les couloirs alors que le monde changeait encore autour d’eux.

     

    Au bout du couloir se trouvait la salle du trône. Aux vêtements que portait Salambo, c’était clairement un autre jour que celui d’où elles venaient. Deux gardes ont fait entrer Greta.

    “Merci.” dit le roi. “Vous pouvez sortir, je vais m’occuper d’elle.”

    La posture de la prisonnière laissait à penser qu’elle ne s’était pas réellement remise de son agression. Cette scène donnait envie à Daisy d’intervenir, mais ce même sentiment d’impuissance qui l’avait envahi dans les prisons était de retour.

    “J’ai appris pour ce qu’il s’est passé.” commença le vieil homme. “Je suis sincèrement désolé d’avoir engendré un monstre pareil…”

    Il y avait un profond regret dans sa voix, rendant ses excuses sincères.

    “J’ai… j’ai aussi appris que vous étiez enceinte. Je sais que c’est déplacé, mais je voulais vous faire une proposition.”

    “Laquelle ?”

    “Gardez cet enfant, au moins jusqu’à sa naissance. C’est le seul moyen que j’ai pour écarter mon fils du trône.”

    “Mais c’est quoi ce marché ?” demanda Daisy, complètement ignorée par les deux protagonistes de cette scène.

    “La raison pour laquelle Eclair est en vie aujourd’hui.”

     

    Avant que Daisy ne puisse s’offusquer de l’immoralité de ce marché, plusieurs scènes ont défilé autour d’elle. Toutes mettaient en scène Greta et Salambo, les deux ayant développé une forme de complicité proche d’un lien paternel avec le temps. Le ventre de la générale avait aussi grossi à mesure que le temps passait. C’était suffisant pour que Daisy comprenne qu’Eclair était l’enfant qui devait représenter la paix entre les deux royaumes, celle qui écarterait un tyran et dont le métissage imposerait la création de liens pacifiques. Greta n’y était pas opposée, c’était évident. Cependant, Daisy était sûr qu’elle était morte en 1988. C’est à la dernière scène que c’est devenu clair.

    Cette fois-ci, Greta n’était plus au palais, mais dans un hôpital. De l’autre côté d’une paroi vitrée se trouvait Salambo qui regardait ce qu’il se passait d’un air inquiet. A la posture de la femme, il était évident que c’était un accouchement, mais il n’était pas nécessaire d’être devin pour voir qu’elle souffrait également. Mais le plus insupportable a fini par arriver quand un infirmier est allé parler au roi.

    “Votre altesse, qui devrions-nous sauver ?”

    “Pardon ?”

    “Entre la mère et l’enfant, qui devrions-nous sauver ?”

    L’homme plus âgé à regardé la scène.

    “Je ne sais pas, je suis ni son père ni son époux… demandez-lui plutôt à elle.”

    Le praticien a hoché la tête avant de retourner dans la salle d’accouchement.

    “Madame… madame !”

    La générale a regardé l’homme, attendant la suite.

    “On est pas sûr de-”

    “Sauvez ma fille.”

    “Bien.” répondit l’homme, faisant preuve de la neutralité demandée par son métier.

    Et c’est à cet instant que Daisy a compris que sa tante s’était délibérément condamnée. Sa famille avait cherché à réduire ce sacrifice en cendres sans le savoir.

     

    Il fallut encore une éternité avant que Greta n’arrive à accoucher, dans un état pitoyable tant elle avait l’air faible. Salambo était entré dans la salle entre-temps, regardant le nouveau-né allongé contre sa mère. Cette dernière s’excusait, sentant visiblement ses forces la quitter. Finalement, elle a fermé les yeux, l’électrocardiogramme indiquant une ligne plate dans les secondes suivantes. Les infirmiers se sont précipités vers le brancard, s’occupant du corps inanimé. Le roi recula au même moment pour leur laisser de la place, puis après quelques instants à regarder l’équipe médicale, décida de sortir.

     

    Ce qui a suivi, Daisy n’est pas sûre de l’avoir compris. Salambo était assis sur un banc dans le parc de l’hôpital, berçant la fillette. Elle était en face de lui, regardant la scène. Elle était vraisemblablement une vraie personne. Un passant ? Un infirmier ?

    “Je suis heureux que vous ayez pu venir aussi vite, madame Hooper.”

    Bien. Il fallait une réponse naturelle, et vite.

    “Pourquoi avez-vous demandé ma présence ?”

    Le roi leva les yeux vers elle.

    “Je sais que je dois vous en demander beaucoup après que vous vous soyez occupé de mon fils, mais j'aimerais que vous m’aidiez avec Eclair.”

    Une nourrice, visiblement. Puis étrangement, la princesse a perdu le contrôle de ses mouvements, comme dans les prisons. Elle s’assit au côté de l’homme nouvellement grand-père.

    “C’est votre petite-fille ?”

    “Oui... et sans doute le meilleur espoir d’une paix durable avec Sarasaland…” Il soupira. “Enfin… quand mon fils l’aura reconnu… vous le connaissez, il ne va pas être conciliant. Mais je ne compte pas lui donner raison, j’ai déjà été trop clément avec lui."

    Daisy ouvrit la bouche pour lui répondre, mais elle n’en a jamais eu le temps. Le monde autour d’elle a recommencé à changer, ne représentant aucun lieu que la princesse connaissait. C’était une sorte de pièce bleue claire, avec des étagères où s'entassent des milliers d’images animées, des traces du passé. En regardant autour d’elle, elle vit un spectacle auquel elle n'était pas préparée.


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